Actuellement en Suisse, le développement des énergies renouvelables est promu de différentes manières. L’éolien, le biogaz, les nouvelles petites centrales hydroélectriques, le grand photovoltaïque (PV) et la géothermie bénéficient de la rétribution de l’injection (RPC), tandis que des contributions d’investissement ponctuelles sont versées pour le courant hydraulique et le petit PV (illustration 1). La RPC rétribue le courant avec une indemnisation fixe par kilowattheure. Elle est fixée de façon à permettre à l’exploitant d’installation de couvrir approximativement ses coûts de production en prenant en compte le rendement du capital.
Afin d’éviter toute subvention excessive, la RPC est progressivement réduite pour les nouvelles installations lorsque la technologie fait des progrès et devient meilleur marché. Avec l’augmentation de la part d’énergies renouvelables, le modèle de la RPC atteint toutefois ses limites: d’une part, la fixation administrative des indemnisations ne peut refléter que d’une manière limitée les divers coûts individuels des différents types d’installation, en particulier en présence de progrès techniques dynamiques. D’autre part, l’exploitant n’est absolument pas incité à orienter son installation sur les besoins du marché, c.-à-d. sur les prix.
RPC, prime de marché ou contributions d’investissement?
BKW soutient l’orientation du Conseil fédéral visant à rapprocher du marché l’encouragement des énergies renouvelables et à le rendre plus compétitif. Pour y parvenir, le modèle des contributions d’investissement proposé par le Conseil fédéral est adapté. Du point de vue de BKW, ces dernières doit faire l’objet d’une mise aux enchères d’une manière générale (le Conseil fédéral prévoit des mises aux enchères pour les grandes installations photovoltaïques). Etant donné que les contributions d’investissement ne garantissent ni un achat permanent ni un prix d’achat fixe, les investisseurs sont fortement incités à exploiter leurs installations de manière efficace et en fonction des besoins du marché. Le point essentiel est toutefois que les investisseurs restent des entrepreneurs, car ils assument eux-mêmes les chances et les risques de leur investissement. S’ils veulent se prémunir contre les baisses de prix, le marché leur propose des possibilités aujourd’hui déjà. A cette fin, de plus en plus de «power purchase agreements», c’est-à-dire des contrats de fourniture d’électricité à long terme, sont conclus en Europe.
En revanche, le modèle du Conseil fédéral n’est pas très bien reçu par certains acteurs du secteur de l’énergie. Ils apprécieraient que le législateur développe le système de RPC pour en faire une «prime de marché flottante». L’exploitant d’installation devrait continuer de recevoir une rétribution fixe par kilowattheure sur une période de 25 ans, par exemple, basée essentiellement sur les coûts de production moyens (éventuellement fixés dans le cadre d’une mise aux enchères). Contrairement à la RPC, l’exploitant serait responsable de la commercialisation de son électricité, ce qui lui permettrait d’engranger des revenus sur le marché. L’Etat paye la différence entre le prix du marché et la rétribution fixée sous la forme d’une prime: si les prix sont bas, elle est élevée ou respectivement positive; si les prix sont hauts, elle est basse ou même négative.
Risques de marché: chez l’investisseur ou chez le consommateur?
Dans un «monde optimal», un modèle de promotion verse aux investisseurs exactement le montant nécessaire à la mise en place et à l’exploitation d’une installation de production, mais qui ne peut pas être engendré par les rendements du marché. Même si chaque modèle de promotion poursuit cet objectif, leurs effets diffèrent dans la pratique. Une différence importante réside dans la prise en charge des risques. En raison de la rétribution fixe dans le cadre de la RPC ainsi que de la prime de marché flottante, les évolutions des prix du marché ne constituent ni un risque ni une opportunité pour les investisseurs. En revanche, avec les contributions d’investissement, les investisseurs assument aussi bien les opportunités que les risques liés aux prix du marché: la contribution d’investissement ne fait que réduire les frais résultant des investissements initiaux, les revenus ultérieurs sont entièrement générés sur le marché – et il n’existe aucune certitude sur les futurs prix du marché. En conséquence, il est souvent allégué qu’un encouragement au moyen de la RPC ou d’une prime de marché flottante constitue une forme «plus avantageuse» de subventionnement, car les investisseurs n’auraient pas besoin d’une indemnité financière sous la forme d’un rendement plus élevé du capital pour la prise en charge des risques. Cet argument est erroné, d’autant plus que même avec la RPC ou la prime de marché flottante, les risques du marché ne se volatiliseront pas: ils seront plutôt assumés par la société ou par les consommateurs d’électricité à travers le supplément perçu sur le réseau.
C’est justement parce que le risque est supporté par la communauté que les coûts pour les consommateurs ne peuvent pas être anticipés avec certitude: si le prix du marché est en baisse, la subvention doit être augmentée. Un exemple actuel vient d’Allemagne, où il faut s’attendre à une hausse de la taxe EEG (Erneuerbare-Energien-Gesetz, loi sur les énergies renouvelables) après une chute des prix due à la crise du coronavirus. Ironiquement, les coûts de l’électricité augmentent pour les consommateurs malgré la baisse des prix sur le marché. En revanche, dans le cas des contributions d’investissement, cette incertitude sur les coûts sociétaux de la subvention des énergies renouvelables n’existe pas car les paiements se font en une seule fois et car ils ne sont liés à aucune obligation de paiement de la part de la société en général, source d’incertitudes sur le long terme.
Une production collant mieux au marché avec des contributions d’investissement
Avec l’augmentation de la part des énergies renouvelables, une intégration efficace de cette production dans les mécanismes du marché est nécessaire. C’est justement ce que la RPC ne peut pas faire. Suivant le principe «produce and forget», les exploitants d’installation maximisent leur production – sans se préoccuper des besoins du marché. Comme la rétribution est fixe, la production reste lucrative même lorsque les prix sont déjà passés dans le négatif – ce qui arrive réellement en raison de la part croissante des énergies renouvelables (voir l’étude de l’ElCom de juin 2020). A l’inverse, il n’existe aucune incitation à la production avec l’installation lorsque le courant se fait rare et que les prix sur le marché sont élevés.
La poursuite du développement de la RPC pour en faire une prime de marché flottante ne peut compenser cette faiblesse que partiellement. En Allemagne par exemple, la prime de marché est payée sur une base mensuelle. A cette fin, un régulateur détermine la prime pour toutes les installations sur la base de la valeur sur le marché de la production d’une installation générique. Au niveau des diverses installations qui commercialisent leur courant elles-mêmes, il subsiste ainsi une incitation à orienter leur production plus fortement sur le marché afin d’optimiser leurs revenus au-dessus de la prime – par exemple, en ne produisant pas d’électricité pendant les heures où les prix sont négatifs.
Si les primes sont fixées de manière mensuelle ou même hebdomadaire, il n’en résulte toutefois pas forcément une incitation à orienter aussi l’installation sur les besoins saisonniers. C’est ce qu’illustre cet exemple simplifié avec les hypothèses suivantes: supposons qu’il y aurait en été déjà tellement de PV que sa valeur sur le marché serait nulle. Par contre, les prix seraient très élevés en hiver et dépasseraient les coûts de production PV. Si l’installation PV était orientée de façon à ne produire pratiquement pas en été, mais nettement plus en hiver, il n’y aurait pas de revenus en été à cause de l’absence de la prime tandis qu’en hiver, les revenus seraient limités par le fait que la prime est alors négative. Pour l’exploitant d’installation, il serait donc rationnel de produire aussi en été afin de profiter des primes versées, indépendamment de l’absence de demande et de la valeur de marché en été. Il en est tout autrement dans le cas des contributions d’investissement: après avoir perçu sa subvention ponctuelle, l’exploitant est incité à orienter entièrement son installation sur les besoins du marché.
Une grande diversité de modèles de promotion en Europe
Il est souvent mentionné que la prime de marché est très répandue en Europe et qu’elle a fait ses preuves. Cependant, il existe en Europe une multitude de modèles de promotion qu’il n’est pas toujours aisé de différencier. En plus des modèles de primes de marché, il existe des modèles de quotas et de certificats (Suède et Norvège, avec un arrêt des subventions en 2021 pour la Norvège), ainsi que des contributions d’investissement. Ainsi, la Finlande et l’Autriche subventionnent le photovoltaïque et la force hydraulique au moyen d’aides à l’investissement ponctuelles; en Suède, le PV est également subventionné par des contributions à l’investissement, en plus du système de certificat. Toutefois, il existe aussi des différences au niveau de la conception des modèles de prime de marché.
- Fixe: les primes de marché peuvent également être fixes. Dans un tel modèle, employé par exemple en Allemagne lors d’appels d’offres d’innovation (neutres du point de vue de la technologie), l’exploitant reçoit un montant fixe par kilowattheure produit. En tenant compte des escomptes, ce modèle converge vers une contribution d’investissement.
- Asymétrique: des primes de marché sont versées en Allemagne de manière asymétrique. Cela signifie que la prime n’est jamais négative. Les exploitants d’installation peuvent ainsi se prémunir contre les prix bas, tout en conservant le potentiel de hausse du marché. A première vue, cela semble intéressant. Cela peut toutefois conduire à des offres plus agressives lors des ventes aux enchères, lorsque des investisseurs misent sur une hausse et prennent des risques – pour des parcs éoliens, on a en effet pu voir des enchères à zéro.
- Brève: il existe aussi des pays qui payent une prime de marché flottante, mais seulement sur une période relativement courte. Cela signifie que les installations sont soumises aux lois du marché au bout de 10 à 12 ans seulement. Dans les cas extrêmes, ce modèle de prime converge vers une contribution d’investissement: théoriquement, si la prime n’était versée que pendant une année, elle serait alors équivalente à une contribution d’investissement.
Et qu’est-ce qui correspond à la Suisse?
La grande diversité de modèles illustre le fait que la promotion des énergies renouvelables peut avoir lieu de différentes manières. L’expérience montre qu’avec la croissance de la part des renouvelables, l’efficacité de l’intégration dans le marché devient de plus en plus importante. D’une part, elle peut avoir lieu par l’adjudication des subventions par le biais d’enchères. Celles-ci peuvent aussi bien être employées pour des primes de marché que pour des contributions d’investissement. D’autre part, le versement des subventions doit conduire à des incitations les plus fortes possibles en faveur d’une production orientée vers le marché – et cela est particulièrement le cas pour les contributions d’investissement. Elles contribuent donc aussi plus efficacement à la sécurité d’approvisionnement (voir le texte dans l’encadré).
Dans un contexte suisse, il faut aussi tenir compte du fait qu’en raison des potentiels techniques, les subventions se concentreront essentiellement sur le PV ainsi que, dans une moindre mesure, sur le développement de la force hydraulique. Dans ces deux technologies, la Suisse a déjà acquis une certaine expérience avec les contributions d’investissement. Les contributions d’investissement devraient en particulier continuer d’être bien appropriées pour le courant hydraulique. La durée de vie de ces installations est de 60 à 80 ans. En conséquence, leur analyse stratégique est également axée sur une longue durée de vie. Pour ces installations, une prime de marché versée pendant 20 ans n’apporte que peu de protection contre les risques des prix de marché, car une grande partie des revenus serait générée après la période de subvention. Soit la prime de marché versée pendant la courte période doit être nettement plus élevée qu’avec les autres technologies à la durée d’utilisation plus brève (la prime de marché se rapprocherait alors d’une contribution à l’investissement, voir ci-dessus), soit la prime de marché devrait être versée sur les prochaines 60 à 80 années.
Il est difficile d’imaginer que la politique et la société prennent des engagements sur un temps aussi long au niveau des subventions. Après tout, le subventionnement ne doit pas devenir un état de fait permanent – comme cela a également été promis au peuple suisse lors de la votation sur la stratégie énergétique 2050 – mais simplement représenter un financement de démarrage pendant une phase de transition.
La subvention des renouvelables et la subvention de la sécurité d’approvisionnement – deux objectifs, deux instruments
Dans les pays européens, la subvention des énergies renouvelables est séparée des instruments visant la sécurité d’approvisionnement. Tandis que des primes de marché, des contributions d’investissement ou des solutions basées sur des certificats sont employées pour le financement des renouvelables, des mécanismes ou des marchés de capacité encouragent spécifiquement les centrales électriques qui peuvent fournir une contribution à la sécurité d’approvisionnement pendant d’éventuelles situations de pénurie. C’est justement parce que ces deux systèmes sont séparés que l’encouragement des centrales thermiques fossiles est possible dans le cadre de la sécurité d’approvisionnement. Il est possible que celles-ci ne produisent presque rien, mais servent seulement de technologie de secours pour faire face à des situations d’approvisionnement critiques pendant quelques jours ou même pendant quelques heures seulement.
Dans les discussions actuelles concernant la sécurité d’approvisionnement en Suisse, la question de la subvention des renouvelables est souvent mêlée à celle de la sécurité d’approvisionnement. Il est donc de plus en plus souvent demandé que la subvention des renouvelables aborde dans le même temps la sécurité d’approvisionnement, en se référant fréquemment d’une manière globale à la nécessité d’avoir une plus grande production en hiver. Tandis que les contributions d’investissement incitent généralement à orienter la production sur le marché et donc sur les prix élevés (de l’hiver), les primes de marché nécessiteraient un instrument supplémentaire pour créer ces incitations de manière «artificielle». Il serait envisageable d’augmenter les versements (primes) d’une manière générale de 10% pendant les mois d’hiver. Les installations avec une production hivernale élevée deviendraient ainsi plus concurrentielles, même dans le contexte d’une éventuelle mise aux enchères de la prime de marché. La difficulté spécifique à cette approche est évidente: la majoration doit être fixée par quelqu’un et d’une certaine manière. Est-ce que 10% suffisent, ou 30% sont-ils nécessaires? Le supplément pourrait être déterminé d’une manière administrative sur la base des coûts supplémentaires engendrés par les technologies capables de produire de l’électricité en hiver – mais lesquelles? Dans tous les cas, la détermination sera difficile dans la pratique. De même, l’instrument des enchères (concurrence) serait affaibli en raison du rapprochement avec la régulation des coûts.
Il est donc judicieux de ne pas mélanger le subventionnement des renouvelables et celui de la sécurité d’approvisionnement. Pour la subvention de la sécurité d’approvisionnement, il conviendrait d’employer un modèle d’appels d’offres supplémentaires, neutre sur le plan technologique, qui prend en compte et honore en conséquence la contribution d’une certaine installation à la sécurité d’approvisionnement dans des situations potentiellement critiques (surtout à la fin de l’hiver). Dans les faits, le Conseil fédéral prévoit également dans le cadre de la révision de la LApEl des appels d’offres distincts pour la sécurité d’approvisionnement, en les limitant toutefois aux énergies renouvelables. BKW est d’avis que ces appels d’offres ne doivent pas exclure à l’avance les centrales au gaz comme éventuelle technologie de secours, car leur utilité serait importante sur le plan économique en raison de leur grande disponibilité et de leurs faibles coûts d’investissement. Ici aussi, les contributions d’investissement seraient plus appropriées car une centrale électrique fossile de secours ne peut pas être subventionnée d’après sa production effective: au final, elle ne devrait généralement pas être utilisée pour la production.
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